Sophie Norman, diplômée en graphisme de l’école La Cambre, exerce aujourd’hui en tant que directrice artistique spécialisée en communication. Son parcours, marqué par une sensibilité esthétique et conceptuelle, l’a conduite à une réflexion approfondie sur les intersections entre technologie, mémoire et humanité.
Cette démarche trouve son origine dans le visionnage du documentaire "En attendant les robots", qui explore les conditions des humains formant les intelligences artificielles. Cet éveil a nourri chez Sophie une fascination pour Google Street View, cet outil cartographique d’apparence anodine mais d’une portée profondément anthropologique.
La spécificité de Google Street View réside dans sa méthode photographique : objective et systématique, dénuée de tout jugement ou intention artistique. Son approche, méthodique et radicale, évoque les travaux des Becher, ces photographes ayant documenté avec froideur et rigueur l’Allemagne post-industrielle, bien qu’ici, l’échelle soit celle du globe entier.
Google Street View cartographie méthodiquement chaque recoin du monde. Mais cette exhaustivité numérique impose une condition étrange : le floutage des visages, une anonymisation automatique qui instaure un équilibre troublant entre intimité et absence. Les individus, souvent inconscients ou résignés à être archivés, laissent parfois transparaître une tentative d’interaction avec ce témoin mécanique.
On observe des gestes furtifs, des regards, voire des poses volontaires, comme des selfies improvisés, un moyen fragile de graver une trace dans cette immense mémoire numérique.
Dans sa série artistique, Sophie Norman s’immerge dans ce vaste réservoir d’images, arpentant longuement les territoires américains à la recherche de moments suspendus. Avec soin et sensibilité, elle extrait des scènes où l’humain, souvent saisi dans une posture banale, semble absorbé par l’ordinaire de la ville américaine contemporaine, cet espace urbain saturé de signes et de codes.
En intervenant sur ces images, Sophie leur confère une charge poétique et invite à redécouvrir une "inexistence ordinaire", teintée de solitude et d’humanité.